Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maman. Seulement il faudra leur apprendre la chose par morceaux… En une seule fois cela leur ferait trop de mal… Comprends-tu, maintenant, pourquoi je n’ai pas fait venir madame Eyssette ? je ne voulais pas qu’elle fût là. Ce sont de trop mauvais moments pour les mères…

Il s’interrompit et regarda du côté de la porte.

— Voilà le Bon Dieu ! dit-il en souriant. Et il nous fit signe de nous écarter.

C’était le viatique qu’on apportait. Sur la nappe blanche, au milieu des cierges, l’hostie et les saintes huiles prirent place. Après quoi, le prêtre s’approcha du lit, et la cérémonie commença…

Quand ce fut fini — oh ! que le temps me sembla long ! — quand ce fut fini, Jacques m’appela doucement près de lui :

« Embrasse-moi » ; me dit-il ; et sa voix était si faible qu’il avait l’air de me parler de loin… Il devait être loin en effet, depuis tantôt douze heures que l’horrible phtisie galopante l’avait jeté sur son dos maigre et l’emportait vers la mort au triple galop !…

Alors, en m’approchant pour l’embrasser, ma main rencontra sa main, sa chère main toute moite des sueurs de l’agonie. Je m’en emparai et je ne la quittai plus… Nous restâmes ainsi je ne sais combien de temps ; peut-être une heure, peut-être une éternité, je ne sais plus du tout… Il ne me voyait plus, il ne me parlait plus. Seulement, à plusieurs reprises sa main remua dans la mienne comme pour me dire : « Je sens que tu es là. » Soudain un long