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il se leva : « D’abord les dettes, se dit-il, c’est le plus pressé. » Et malgré la lâche conduite de son frère envers les Pierrotte, il alla sans hésiter s’adresser à eux.

En entrant dans le magasin de l’ancienne maison Lalouette, Jacques aperçut derrière le comptoir une grosse face jaunie et bouffie que d’abord il ne reconnaissait pas ; mais au bruit que fit la porte, la grosse face se souleva et voyant qui venait d’entrer, poussa un retentissant « C’est bien le cas de le dire » auquel on ne pouvait pas se tromper… Pauvre Pierrotte ! Le chagrin de sa fille en avait fait un autre homme. Le Pierrotte d’autrefois, si jovial et si rubicond, n’existait plus. Les larmes que sa petite versait depuis cinq mois avaient rougi ses yeux, fondu ses joues. Sur ses lèvres décolorées, le rire éclatant des anciens jours faisait place maintenant à un sourire froid, silencieux, le sourire des veuves et des amantes délaissées. Ce n’était plus Pierrotte, c’était Ariane, c’était Nina.

Du reste, dans le magasin de l’ancienne maison Lalouette, il n’y avait que lui de changé. Les bergères coloriées, les Chinois à bedaines violettes, souriaient toujours béatement sur les hautes étagères, parmi les verres de Bohème et les assiettes à grandes fleurs. Les soupières rebondies, les carcels en porcelaine peinte reluisaient toujours par places derrière les mêmes vitrines et dans l’arrière-boutique la même flûte roucoulait toujours discrètement.

— C’est moi, Pierrotte, dit la mère Jacques en