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filles en cheveux, et les longues redingotes des patrouilles grises.

Ils marchaient vite, au milieu de la chaussée. En arrivant, ils trouvaient un peu de viande froide sur un coin de table et la négresse Coucou-Blanc, qui attendait… car Irma Borel avait gardé Coucou-Blanc. M. de Huit à Dix avait repris son cocher, ses meubles, sa vaisselle, sa voiture. Irma Borel avait gardé sa négresse, son kakatoës, quelques bijoux et toutes ses robes… Celles-ci, bien entendu, ne lui servaient qu’à la scène, les traînes de velours et de moire n’étant point faites pour balayer les boulevards extérieurs… À elles seules, les robes occupaient une des deux chambres. Elles étaient là pendues tout autour à des portemanteaux d’acier, et leurs grands plis soyeux, leurs couleurs voyantes contrastaient étrangement avec le carreau dérougi et le meuble fané. C’est dans cette chambre que couchait la négresse.

Elle y avait installé sa paillasse, son fer à cheval, sa bouteille d’eau-de-vie ; seulement, de peur du feu, on ne lui laissait pas de lumière. Aussi, la nuit, quand ils rentraient, Coucou-Blanc, accroupie sur une paillasse au clair de lune, avait l’air, parmi ces robes mystérieuses, d’une vieille sorcière préposée par Barbe-Bleue à la garde des sept pendues. L’autre pièce, la plus petite, était pour eux et le kakatoës. Juste la place d’un lit, de trois chaises, d’une table et du grand perchoir à bâtons dorés.

Si triste et si étroit que fût leur logis, ils n’en