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« — Tiens, regarde, fit la tragédienne, regarde les gages d’amour que lui donnait sa boutiquière… Quatre crins de son chignon et un bouquet de violettes d’un sou… Approche ta lampe, Coucou-Blanc. »

« La négresse approcha sa lampe ; les cheveux et les fleurs flambèrent en pétillant. Je laissai faire ; j’étais atterré.

« — Oh ! oh ! qu’est-ce ceci ? continua la tragédienne en dépliant un papier de soie… Une dent ?… Non ! ça a l’air d’être du sucre… Ma foi, oui… c’est une sucrerie allégorique… un petit cœur en sucre.

« Hélas ! un jour, à la foire des Prés-Saint-Gervais, les yeux noirs avaient acheté ce petit cœur de sucre et me l’avaient donné en me disant :

« — Je vous donne mon cœur.

« La négresse le regardait d’un œil d’envie.

« — Tu le veux ! Coucou, lui cria la maîtresse… Eh bien, attrape…

« Et elle le lui jeta dans la bouche comme à un chien… C’est peut-être ridicule ; mais quand j’ai entendu le sucre craquer sous la meule de la négresse, j’ai frissonné des pieds à la tête. Il me semblait que c’était le propre cœur des yeux noirs que ce monstre aux dents noires dévorait si joyeusement.

« Tu crois peut-être, mon pauvre Jacques, qu’après cela tout a été fini entre nous ? Eh bien, mon cher, si au lendemain de cette scène tu étais entré chez Irma Borel, tu l’aurais trouvée répétant