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pour songer à vous marier d’ici trois ans. C’est donc trois années que vous avez devant vous pour vous faire une position… Je ne sais pas si vous comptez rester toujours dans le commerce des papillons bleus ; mais je sais bien ce que je ferais à votre place… C’est bien le cas de le dire, je planterais là mes historiettes, j’entrerais dans l’ancienne maison Lalouette, je me mettrais au courant du petit train-train de la porcelaine, et je m’arrangerais pour que, dans trois ans, Pierrotte qui devient vieux, pût trouver en moi un associé en même temps qu’un gendre… Hein ? Qu’est-ce que vous dites de ça, compère ?

Là-dessus Pierrotte m’envoya un grand coup de coude et se mit à rire, mais à rire. Bien sûr, qu’il croyait me combler de joie, le pauvre homme, en m’offrant de vendre de la porcelaine à ses côtés. Je n’eus pas le courage de me fâcher, pas même celui de répondre ; j’étais atterré…

Les assiettes, les verres peints, les globes d’albâtre, tout dansait autour de moi. Sur une étagère, en face du comptoir, des bergers et des bergères, en biscuit de couleurs tendres, me regardaient d’un air narquois et semblaient me dire en brandissant leurs houlettes : « Tu vendras de la porcelaine ! » Un peu plus loin, les magots chinois en robes violettes remuaient leurs caboches vénérables, comme pour approuver ce qu’avaient dit les bergers : « Oui… oui… tu vendras de la porcelaine !… » Et la-bas, dans le fond, la flûte ironique et sournoise sifflotait doucement : « Tu ven-