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vous ? » Je promis de parler à Pierrotte très prochainement, dès que j’aurais fini mon grand poëme. Cette promesse apaisa un peu notre surveillance ; mais c’est égal ! Depuis ce jour, défense fut faite aux yeux noirs de s’asseoir sur le canapé, à côté de Désir de plaire.

Ah ! C’était une jeune personne très rigide, cette demoiselle Pierrotte. Figurez-vous que, dans les premiers temps, elle ne voulait pas permettre aux yeux noirs de m’écrire ; à la fin pourtant, elle y consentit, à l’expresse condition qu’on lui montrerait toutes les lettres. Malheureusement, ces adorables lettres pleines de passion que m’écrivaient les yeux noirs, mademoiselle Pierrotte ne se contentait pas de les relire ; elle y glissait souvent des phrases de son cru comme ceci par exemple :

« … Ce matin, je suis toute triste. J’ai trouvé une araignée dans mon armoire. Araignée du matin, chagrin. »

Ou bien encore :

« On ne se met pas en ménage avec des noyaux de pêche… »

Et puis l’éternel refrain :

« Il faut parler au père de vos projets… »

À quoi je répondais invariablement :

« Quand j’aurai fini mon poëme !… »