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rotte avait dans les cheveux glissa je ne sais comment et vint tomber à mes pieds. Tout juste, à ce moment, je cherchais un moyen délicat de faire comprendre à la jeune Camille qu’elle était cette femme trois et quatre fois heureuse dont Jacques s’était épris. La petite rose rouge en tombant me fournit ce moyen. — Quand je vous disais qu’elle était fée, cette petite rose rouge. — Je la ramassai lestement, mais je me gardai bien de la rendre. « Ce sera pour Jacques, de votre part, » dis-je à mademoiselle Pierrotte avec mon sourire le plus fin. — « Pour Jacques, si vous voulez, » répondit mademoiselle Pierrotte, en soupirant ; mais au même instant, les yeux noirs apparurent et me regardèrent tendrement de l’air de me dire : « Non ! pas pour Jacques, pour toi ! » Et si vous aviez vu comme ils disaient bien cela, avec quelle candeur enflammée, quelle passion pudique et irrésistible ! Pourtant j’hésitais encore, et ils furent obligés de répéter deux ou trois fois de suite : « Oui !… pour toi… pour toi. » Alors je baisai la petite rose rouge et je la mis dans ma poitrine.

Ce soir-là, quand Jacques revint, il me trouva comme à l’ordinaire penché sur l’établi aux rimes et je lui laissai croire que je n’étais pas sorti de la journée. Par malheur, en me déshabillant la petite rose rouge que j’avais gardée dans ma poitrine roula par terre au pied du lit : toutes ces fées sont pleines de malice. Jacques la vit, la ramassa et la regarda longuement. Je ne sais pas qui était le plus rouge de la rose ou de moi.