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pas vu, me dit Jacques… C’est l’aveugle… c’est le père Lalouette… »

— Il porte bien son nom… pensai-je en moi-même. Et pour ne plus voir l’horrible vieux à tête d’oiseau, je me tournai bien vite du côté des yeux noirs ; mais hélas ! Le charme était brisé, les yeux noirs avaient disparu. Il n’y avait plus à leur place qu’une petite toute raide sur son tabouret de piano…

À ce moment, la porte du salon s’ouvrit et Pierrotte entra bruyamment. L’homme à la flûte venait derrière lui avec sa flûte sous le bras. Jacques, en le voyant, déchargea sur lui un regard foudroyant capable d’assommer un buffle ; mais il dut le manquer car le joueur de flûte ne broncha pas.

— Eh bien, petite, dit le Cévenol en embrassant sa fille à pleines joues, es-tu contente ? on te l’a donc amené ton Daniel… Comment le trouves-tu ? Il est gentil n’est-ce pas ? C’est bien le cas de le dire… tout le portrait de mademoiselle. Et voilà le bon Pierrotte qui recommence la scène du magasin, et m’amène de force au milieu du salon, pour que tout le monde puisse voir les yeux de mademoiselle, le nez de mademoiselle, le menton fossette de mademoiselle… Cette exhibition me gênait beaucoup. Madame Lalouette et la dame de grand mérite avaient interrompu leur partie, et, renversées dans leur fauteuil, m’examinaient avec le plus grand sang-froid, critiquant ou louant à haute voix tel ou tel morceau de ma personne, absolument comme si j’étais un petit poulet de grain