Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

yeux noirs éblouissants, que je reconnus tout de suite…

Ô Miracle ! C’étaient les mêmes yeux noirs qui m’avaient lui si doucement là-bas, dans les murs froids du vieux collège, les yeux noirs de la fée aux lunettes, les yeux noirs enfin… Je croyais rêver. J’avais envie de leur crier : « Beaux yeux noirs, est-ce vous ? Est-ce vous que je retrouve dans un autre visage ? » Et si vous saviez comme c’étaient bien eux ! Impossible de s’y tromper. Les mêmes cils, le même éclat, le même feu noir et contenu. Quelle folie de penser qu’il peut y avoir deux couples de ces yeux-là par le monde ! Et d’ailleurs la preuve que c’étaient bien les yeux noirs eux-mêmes, et non pas d’autres yeux noirs ressemblant à ceux-là, c’est qu’ils m’avaient reconnu eux aussi, et nous allions reprendre sans doute un de nos jolis dialogues muets d’autrefois, quand j’entendis tout près de moi, presque dans mon oreille, de petites dents de souris qui grignotaient. À ce bruit, je tournai la tête et j’aperçus dans un fauteuil, à l’angle du piano, un personnage auquel je n’avais pas pris garde… C’était un grand vieux sec et blême, avec une tête d’oiseau, le front fuyant, le nez en pointe, des yeux ronds et sans vie trop loin du nez, presque sur les tempes… Sans un morceau de sucre que le bonhomme tenait à la main et qu’il becquetait de temps en temps, on aurait pu le croire endormi. Un peu troublé par cette apparence, je fis à ce vieux fantôme un grand salut, qu’il ne me rendit pas… « Il ne t’a