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Sonne, Daniel, nous y voilà ! » Je sonnai ; une Cévenole à grande coiffe vint nous ouvrir, sourit à Jacques comme à une vieille connaissance, et nous introduisit dans le salon.

Quand nous entrâmes, mademoiselle Pierrotte était au piano. Deux vieilles dames un peu fortes, madame Lalouette et la veuve Tribou, dame de grand mérite, jouaient aux cartes dans un coin. En nous voyant, tout le monde se leva. Il y eut moment de trouble et de brouhaha ; puis les saluts échangés et les présentations faites, Jacques invita Camille, — il disait Camille tout court, — à se remettre au piano ; et la dame de grand mérite profita de l’invitation pour continuer sa partie avec madame Lalouette. Nous avions pris place, Jacques et moi, chacun d’un côté de mademoiselle Pierrotte, qui, tout en faisant trotter ses petits doigts sur le piano, causait et riait avec nous. Je la regardais pendant qu’elle parlait. Elle n’était pas jolie. Blanche, rose, l’oreille petite, le cheveu fin, mais trop de joues, trop de santé ; avec cela, les mains rouges, et les grâces un peu froides d’une pensionnaire en vacances. C’était bien la fille de Pierrotte, une fleur des montagnes, grandie sous la vitrine du passage du Saumon.

Telle fut, du moins, ma première impression ; mais, soudain, sur un mot que je lui dis, mademoiselle Pierrotte, dont les yeux étaient restés baissés jusque-là, les leva lentement sur moi, et, comme par magie, la petite bourgeoise disparut. Je ne vis plus que ses yeux, deux grands