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les vieux Lalouette, qui commençaient à ne plus pouvoir tout faire par eux-mêmes, proposèrent à Pierrotte d’entrer chez eux comme garçon de magasin. Pierrotte accepta, mais il ne garda pas longtemps ces modestes fonctions. Depuis leur arrivée à Paris, sa femme lui donnait tous les soirs des leçons d’écriture et de lecture ; il savait déjà se tirer d’une lettre et s’exprimer en français d’une façon compréhensible. En entrant chez Lalouette, il redoubla d’efforts, s’en alla dans une classe d’adultes apprendre le calcul, et fit si bien qu’au bout de quelques mois il pouvait suppléer au comptoir M. Lalouette devenu presque aveugle, et à la vente madame Lalouette dont les vieilles jambes trahissaient le grand cœur. Sur ces entrefaites, mademoiselle Pierrotte vint au monde et, dès lors, la fortune du Cévenol alla toujours croissant. D’abord intéressé dans le commerce des Lalouette, il devint plus tard leur associé ; puis, un beau jour, le père Lalouette, ayant complètement perdu la vue, se retira du commerce et céda son fonds à Pierrotte, qui le paya par annuités. Une fois seul, le Cévenol donna une telle extension à l’affaire qu’en trois ans il eut payé les Lalouette, et se trouva, franc de toute redevance, à la tête d’une belle boutique admirablement achalandée… Juste à ce moment, comme si elle eût attendu pour mourir que son homme n’eût plus besoin d’elle, la grande Roberte tomba malade et mourut d’épuisement.

Voilà le roman de Pierrotte, tel que Jacques me le racontait ce soir-là en nous en allant au passage