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même, tout enfin, jusqu’au suicide et la terrible prédiction de l’abbé Germane : « Tu seras un enfant toute ta vie. »

Les coudes sur la table, la tête dans ses mains, Jacques écoute jusqu’au bout ma confession sans l’interrompre. De temps en temps, je le vois qui frissonne et je l’entends dire : « Pauvre petit ! pauvre petit ! »

Quand j’ai fini, il se lève, me prend les mains et me dit d’une voix douce qui tremble : « L’abbé Germane avait raison vois-tu ! Daniel, tu es un enfant, un petit enfant incapable d’aller seul dans la vie, et tu as bien fait de te réfugier près de moi. Dès aujourd’hui tu n’es plus seulement mon frère, tu es mon fils aussi, et puisque notre mère est loin, c’est moi qui la remplacerai. Le veux-tu ? dis, Daniel ! Veux-tu que je sois ta mère Jacques ? Je ne t’ennuierai pas beaucoup, tu verras. Tout ce que je te demande, c’est de me laisser toujours marcher à côté de toi et de te tenir la main. Avec cela, tu peux être tranquille et regarder la vie en face, comme un homme : elle ne te mangera pas. »

Pour toute réponse, je lui saute au cou : — « Ô ma mère Jacques, que tu es bon ! » — Et me voilà pleurant à chaudes larmes sans pouvoir m’arrêter, tout à fait comme l’ancien Jacques, de Lyon. Le Jacques d’aujourd’hui ne pleure plus, lui ; la citerne est à sec, comme il dit. Quoi qu’il arrive, il ne pleurera plus jamais.

À ce moment, sept heures sonnent. Les vitres