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pu me le reconstruire. C’est comme une ville brumeuse que j’aurais traversée tout enfant, il y a des années, et où je ne serais plus retourné depuis lors.

Je me souviens d’un pont de bois sur une rivière toute noire, puis d’un grand quai désert et d’un immense jardin au long de ce quai. Nous nous arrêtâmes un moment devant ce jardin. À travers les grilles qui le bordaient, on voyait confusément des huttes, des pelouses, des flaques d’eau, des arbres luisants de givre.

— C’est le Jardin des plantes, me dit Jacques. Il y a là une quantité considérable d’ours blancs, de singes, de boas, d’hippopotames…

En effet, cela sentait le fauve, et, par moments, un cri aigu, un rauque rugissement, sortaient de cette ombre.

Moi, serré contre mon frère, je regardais de tous mes yeux à travers les grilles, et mêlant dans un même sentiment de terreur ce Paris inconnu, où j’arrivais de nuit, et ce jardin mystérieux, il me semblait que je venais de débarquer dans une grande caverne noire, pleine de bêtes féroces qui allaient se ruer sur moi. Heureusement que je n’étais pas seul : j’avais Jacques pour me défendre… Ah ! Jacques ! Jacques ! Pourquoi ne t’ai-je pas toujours eu ?

Nous marchâmes encore longtemps, longtemps, par des rues noires, interminables ; puis, tout à coup, Jacques s’arrêta sur une petite place où il y avait une église.