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petite lanterne, en criant : « Paris ! Paris ! Vos billets ! » Malgré moi, je rentrai la tête par un mouvement de terreur. C’était Paris.

Ah ! grande ville féroce, comme le petit Chose avait raison d’avoir peur de toi !…

Cinq minutes après, nous entrions dans la gare. Jacques était là depuis une heure. Je l’aperçus de loin avec sa longue taille un peu voûtée et ses grands bras de télégraphe qui me faisaient signe derrière le grillage. D’un bond je fus sur lui.

— Jacques ! mon frère !…

— Ah ! cher enfant !

Et nos deux âmes s’étreignirent de toute la force de nos bras. Malheureusement les gares ne sont pas organisées pour ces belles étreintes. Il y a la salle des voyageurs, la salle des bagages ; mais il n’y a pas la salle des effusions, il n’y a pas la salle des âmes. On nous bousculait, on nous marchait dessus.

— Circulez ! circulez ! nous criaient les gens de l’octroi.

Jacques me dit tout bas : « Allons-nous-en. Demain, j’enverrai chercher ta malle. » Et, bras dessus bras dessous, légers comme nos escarcelles, nous nous mîmes en route pour le Quartier latin.

J’ai essayé bien souvent, depuis, de me rappeler l’impression exacte que me fit Paris cette nuit-là : mais les choses, comme les hommes, prennent, la première fois que nous les voyons, une physionomie toute particulière, qu’ensuite nous ne leur trouvons plus. Le Paris de mon arrivée, je n’ai jamais