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souffris le plus en ce terrible voyage. J’étais parti de Sarlande sans souliers, n’ayant aux pieds que de petits caoutchoucs fort minces, qui me servaient là-bas pour faire ma ronde dans le dortoir. Très joli, le caoutchouc ; mais l’hiver, en troisième classe… Dieu ! que j’ai eu froid ! C’était à en pleurer. La nuit, quand tout le monde dormait, je prenais doucement mes pieds entre mes mains et je les tenais des heures entières pour essayer de les réchauffer. Ah ! si madame Eyssette m’avait vu !…

Eh bien, malgré la faim qui lui tordait le ventre, malgré ce froid cruel qui lui arrachait des larmes, le petit Chose était bien heureux, et pour rien au monde il n’aurait cédé cette place ; cette demi-place qu’il occupait entre la Champenoise et l’infirmier. Au bout de toutes ces souffrances, il y avait Jacques, il y avait Paris.

Dans la nuit du second jour, vers trois heures du matin, je fus réveillé en sursaut, le train venait de s’arrêter : tout le wagon était en émoi.

J’entendis l’infirmier dire à sa femme :

— Nous y sommes.

— Où donc ? demandai-je en me frottant les yeux.

— À Paris, parbleu !

Je me précipitai vers la portière. Pas de maisons. Rien qu’une campagne pelée, quelques becs de gaz, et çà et là de gros tas de charbon de terre ; puis là-bas, dans le loin, une grande lumière rouge et un roulement confus pareil au bruit de la mer. De portière en portière, un homme allait, avec une