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pas un seul instant soupçonné la loyauté de son ami. En reconnaissant les lettres, il s’était dit tout de suite : « Roger aura eu la paresse de les recopier ; il a mieux aimé faire une partie de billard de plus et envoyer les miennes. » Quel innocent, ce petit Chose !

Quand le sous-préfet vit que je ne voulais pas répondre, il remit les lettres dans sa poche et, se tournant vers le principal et son acolyte :

— Maintenant, messieurs, vous savez ce qui vous reste à faire.

Sur quoi les clefs de M. Viot frétillèrent d’un air lugubre, et le principal répondit en s’inclinant jusqu’à terre, « que M. Eyssette avait mérité d’être chassé sur l’heure ; mais qu’afin d’éviter tout scandale, on le garderait au collège encore huit jours. » Juste le temps de faire venir un nouveau maître.

À ce terrible mot « chassé », tout mon courage m’abandonna. Je saluai sans rien dire et je sortis précipitamment. À peine dehors, mes larmes éclatèrent.. Je courus d’un trait jusqu’à ma chambre, en étouffant mes sanglots dans mon mouchoir…

Roger m’attendait ; il avait l’air fort inquiet et se promenait à grands pas, de long en large.

En me voyant entrer, il vint vers moi :

— Monsieur Daniel !… me dit-il, et son œil m’interrogeait. Je me laissai tomber sur une chaise sans répondre.

— Des pleurs, des enfantillages ! reprit le maître d’armes d’un ton brutal, tout cela ne prouve rien. Voyons… vite… Que s’est-il passé ?