Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettres de confidences toutes personnelles, de malédictions contre la destinée, contre ces êtres vils et méchants au milieu desquels j’étais obligé de vivre : « Ô Cécilia, si tu savais comme j’ai besoin de ton amour ! »

Parfois aussi, quand le grand Roger venait me dire en frisant sa moustache : « Ça mord ! ça mord !… continuez ! » j’avais de secrets mouvements de dépit, et je pensais en moi-même : « Comment peut-elle croire que c’est ce gros réjoui, ce Fanfan la Tulipe, qui lui a écrit ces chefs-d’œuvre de passion et de mélancolie »

Elle le croyait pourtant ; elle le croyait si bien qu’un jour, le maître d’armes, triomphant, m’apporta cette réponse qu’il venait de recevoir : « À neuf heures, ce soir, derrière la sous-préfecture. »

Est-ce à l’éloquence de mes lettres ou à la longueur de ses moustaches que Roger dut son succès ? Je vous laisse, mesdames, le soin de décider. Toujours est-il que cette nuit-là, dans son dortoir mélancolique, le petit Chose eut un sommeil très agité. Il rêva qu’il était grand, qu’il avait des moustaches, et que des dames de Paris, — occupant des situations tout à fait extraordinaires, — lui donnaient des rendez-vous derrière les sous-préfectures…

Le plus comique, c’est que le lendemain, il me fallut écrire une lettre d’actions de grâces et remercier Cécilia de tout le bonheur qu’elle m’avait donné : « Ange qui as consenti à passer une nuit sur la terre… »