Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laient-ils penser de cette affaire ? Comment ! j’avais osé lever la main sur un élève ! Je voulais donc me faire chasser !

Ces réflexions, qui me venaient un peu tard, me troublèrent dans mon triomphe. J’eus peur, à mon tour. Je me disais : « C’est sûr, le marquis est allé se plaindre. » Et, d’une minute à l’autre, je m’attendais à voir entrer le principal. Je tremblai jusqu’à la fin de l’étude ; pourtant personne ne vint.

À la récréation, je fus très étonné de voir Boucoyran rire et jouer avec les autres. Cela me rassura un peu ; et, comme toute la journée se passa sans encombres, je m’imaginai que mon drôle se tiendrait coi et que j’en serai quitte pour la peur.

Par malheur, le jeudi suivant était jour de sortie. Le soir, M. le marquis ne rentra pas au dortoir. J’eus comme un pressentiment et je ne dormis pas de toute la nuit.

Le lendemain, à la première étude, les élèves chuchotaient en regardant la place de Boucoyran qui restait vide. Sans en avoir l’air je mourais d’inquiétude.

Vers les sept heures, la porte s’ouvrit d’un coup sec. Tous les enfants se levèrent.

J’étais perdu…

Le principal entra le premier, puis M. Viot derrière lui, puis enfin un grand vieux, boutonné jusqu’au menton dans une longue redingote et cravaté d’un col de crin haut de quatre doigts. Celui-là, je ne le connaissais pas, mais je compris tout de