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V
la famille joyeuse

Tous les matins de l’année, à huit heures très précises, une maison neuve et presque inhabitée d’un quartier perdu de Paris s’emplissait de cris, d’appels, de jolis rires sonnant clair dans le désert de l’escalier :

« Père, n’oublie pas ma musique…

— Père, ma laine à broder…

— Père, rapporte-nous des petits pains… »

Et la voix du père qui appelait d’en bas :

« Yaïa, descends-moi donc ma serviette…

— Allons, bon ! il a oublié sa serviette… »

Et c’était un empressement joyeux du haut en bas de la maison, une course de tous ces minois brouillés de sommeil, de toutes ces chevelures ébouriffées que l’on rajustait en chemin, jusqu’au moment où, penchées sur la rampe, une demi-douzaine de jeunes filles adressaient leurs adieux sonores à un petit vieux monsieur, net et bien brossé, dont la face rougeaude, la silhouette étriquée, disparaissaient enfin dans la perspective tournante des marches. M. Joyeuse était parti pour son bureau… Alors, toute cette échappée de volière remontait vite au quatrième, et la porte tirée, se groupait