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il tombait au milieu d’une foule compacte de gandins, de journalistes, de femmes en chapeau, en taille, riant par métier, renversant leur rire bête, le dos appuyé au mur. Des loges ouvertes et qui essayaient de respirer sur cette baie grouillante et bruyante sortaient des fragments de conversations, mêlées, à propos rompus :

« Une pièce délicieuse… C’est frais… c’est honnête…

— Ce Nabab !… Quelle effronterie !…

— Oui, vraiment, ça repose… On se sent meilleur…

— Comment ne l’a-t-on pas encore arrêté ?…

— Un tout jeune homme, paraît-il… C’est sa première pièce.

— Bois-Landry à Mazas ! Ce n’est pas possible… Voici la marquise en face de nous, aux premières galeries, avec un chapeau neuf…

— Qu’est-ce que ça prouve ?… Elle fait son métier de lanceuse… Il est très joli, ce chapeau… aux couleurs du cheval de Desgranges.

— Et Jenkins ? que devient Jenkins ?

— À Tunis avec Félicia… Le vieux Brahim les a vus tous les deux… Il paraît que le bey se met décidément aux perles.

— Bigre !… »

Plus loin, des voix douces murmuraient :

« Vas-y, père, vas-y donc… Vois comme il est seul, ce pauvre homme.

— Mais, mes enfants, je ne le connais pas.

— Eh bien ! rien qu’un salut… Quelque chose qui lui prouve qu’il n’est pas complètement abandonné… »

Aussitôt un petit vieux monsieur, très rouge, en cravate blanche, s’élançait au devant du Nabab et lui donnait un grand coup de chapeau respectueux.