Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/507

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tails déployés. Puis l’ennui, un ennui morne, l’ennui des mêmes visages toujours regardés aux mêmes places, avec leurs défauts ou leurs poses, cette uniformité des réunions mondaines qui finit par installer dans Paris chaque hiver une province dénigrante, papetière et restreinte plus que la province elle-même.

Maranne observait cette maussaderie, cette lassitude du public, et songeant à ce que la réussite de son drame pouvait changer dans sa modeste vie toute en espoir, se demandait, plein d’angoisse, comment faire pour approcher sa pensée de ces milliers d’êtres, les arracher à leurs préoccupations d’attitude, établir dans cette foule un courant unique qui lui ramènerait ces regards distraits, ces intelligences à tous les degrés du clavier, si difficiles à mettre à l’unisson. Instinctivement il cherchait des visages amis, une loge de face remplie par la famille Joyeuse : Élise et les fillettes assises sur le devant au second plan, Aline et le père, groupe adorable, familial, comme un bouquet trempé de rosée dans un étalage de fleurs fausses. Et tandis que tout Paris dédaigneux demandait : « Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? » le poète remettait son sort entre ces petites mains de fées, gantées de frais pour la circonstance et qui donneraient hardiment tout à l’heure le signal des applaudissements.

Place au théâtre !… Maranne n’a que le temps de se jeter dans la coulisse, et tout à coup il entend, loin, bien loin, les premières paroles de sa pièce qui montent, volée d’oiseaux craintifs, dans le silence et l’immensité de la salle. Moment terrible. Où aller ? Que devenir ? Rester là collé contre un portant, l’oreille tendue, le cœur serré ; encourager les acteurs quand il aurait tant besoin d’encouragements lui-même ? Il préfère en-