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ve- pas d’entendre le cri du « chacal dans le désert », si bien en harmonie avec la température brûlante et lourde du dehors… Non. Plus rien… Il s’endormit de nouveau ; et cette fois, toutes les images confuses qui le poursuivaient se fixeront en un rêve, un bien beau rêve… Il faisait avec Aline son voyage de noces. Une mariée délicieuse. Prunelles claires, pleines d’amour et de foi, qui ne connaissaient que lui, ne regardaient que lui. Dans ce même salon d’hôtel, de l’autre côté du guéridon, la jolie fille était assise en blanc déshabillé du matin qui sentait bon la violette et les dentelles fines de la corbeille. Ils déjeunaient. Un de ces déjeuners de voyage de noces, servis au saut du lit en face de la mer bleue, du ciel limpide qui azurent le verre où l’on boit, les yeux que l’on regarde, l’avenir, la vie, l’espace clair. Oh ! qu’il faisait beau, quelle lumière divine, rajeunissante, comme ils étaient bien !

Et tout à coup, en pleins baisers, en pleine ivresse, Aline devenait triste. Ses beaux yeux se voilaient de larmes. Elle lui disait : « Félicia est là… vous n’allez plus m’aimer… » Et lui riait : « Félicia, ici ?… Quelle idée ! Si, si… Elle est là… » Tremblante, elle montrait la chambre voisine, d’où partaient pêle-mêle des aboiements enragés et la voix de Félicia : « Ici, Kadour… Ici, Kadour… », la voix basse, concentrée, furieuse de quelqu’un qui se cachait et se voit brusquement découvert.

Réveillé en sursaut, l’amoureux, désenchanté, se retrouva dans sa chambre déserte, devant un guéridon vide, son beau rêve envolé par la fenêtre sur le grand coteau qui la remplissait toute, et semblait se pencher vers elle. Mais on entendait bien réellement dans la