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dans les hôtels, s’installaient dans des cafés, que d’autres couraient la ville, de Géry, désolé du retard, cherchait un moyen de ne pas perdre encore cette dizaine d’heures. Il pensait au pauvre Jansoulet, à qui l’argent qu’il apportait allait peut-être sauver l’honneur et la vie, à sa chère Aline, à celle dont le souvenir ne l’avait pas quitté un seul jour pendant son voyage, pas plus que le portrait qu’elle lui avait donné. Il eut alors l’idée de louer un de ces calesino attelés à quatre qui font le trajet de Gênes à Nice, tout le long de la Corniche italienne, voyage adorable que se payent souvent les étrangers, les amoureux ou les joueurs heureux de Monaco. Le cocher garantissait d’être à Nice de bonne heure ; mais n’arrivât-on guère plus vite qu’en attendant le train, l’impatience du voyageur éprouvait le soulagement de ne pas piétiner sur place, de sentir à chaque tour de roue décroître l’espace qui le séparait de son désir.

Oh ! par un beau matin de juin, à l’âge de notre ami Paul, le cœur plein d’amour comme il l’avait, brûler à quatre chevaux la route blanche de la Corniche, c’est une ivresse de voyage incomparable. À gauche, à cent pieds d’abîme, la mer mouchetée d’écume des anses rondes du rivage à ces lointains de vapeur, où se confondent le bleu des vagues et celui du ciel ; voiles rouges ou blanches, jetées là-dessus en ailes uniques et déployées fines silhouettes de steamers avec un peu de fumée à l’arrière comme un adieu, et sur des plages aperçues au détour, des pêcheurs, pas plus gros que des merles de roche, dans leur barque amarrée, qui semble un nid. Puis la route s’abaisse, suit une pente rapide, tout le long de rochers, de promontoires presque à pic. Le vent frais des vagues arrive là, se mêle aux mille grelots de l’attelage tandis qu’à droite, sur le flanc