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ce monstre d’homme !…) Allons, cherchez, qui a déchiré cette page ? »

Alors, je me rappelai fort à propos que, quelques jours avant de quitter Paris, notre gouverneur m’avait fait apporter les livres à son domicile, où ils étaient restés jusqu’au lendemain. Le greffier prit note de ma déclaration, après quoi le juge me congédia d’un signe, en m’avertissant d’avoir à me tenir à sa disposition. Puis, sur la porte, il me rappela :

« Tenez, monsieur Passajon, remportez ceci. Je n’en ai plus besoin. »

Il me tendait les papiers qu’il consultait, tout en m’interrogeant ; et qu’on juge de ma confusion, quand j’aperçus sur la couverture le mot « Mémoires » écrit de ma plus belle ronde. Je venais de fournir moi-même des armes à la justice, des renseignements précieux que la précipitation de notre catastrophe m’avait empêché de soustraire à la rafle policière exécutée dans nos bureaux.

Mon premier mouvement, en rentrant chez nous, fut de mettre en morceaux ces indiscrètes paperasses ; puis, réflexion faite, après m’être assuré qu’il n’y avait dans ces Mémoires rien de compromettant pour moi, au lieu de les détruire, je me suis décidé à les continuer, avec la certitude d’en tirer parti un jour ou l’autre. Il ne manque pas à Paris de faiseurs de romans sans imagination, qui ne savent mettre que des histoires vraies dans leurs livres, et qui ne seront pas fâchés de m’acheter un petit cahier de renseignements. Ce sera ma façon de me venger de cette société de haute flibuste où je me suis trouvé mêlé pour ma honte et pour mon malheur.

Du reste, il faut bien que j’occupe mes loisirs. Rien à