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XXIII
mémoires d’un garçon de bureau — derniers feuillets

Je consigne ici, à la hâte et d’une plume bien agitée, les événements effroyables dont je suis le jouet depuis quelques jours. Cette fois, c’en est fait de la Territoriale et de tous mes songes ambitieux… Protêts, saisies, descentes de la police, tous nos livres chez le juge d’instruction, le gouverneur en fuite, notre conseil Bois-Landry à Mazas, notre conseil Monpavon disparu. Ma tête s’égare au milieu de ces catastrophes… Et dire que, si j’avais suivi les avertissements de la sage raison, je serais depuis six mois bien tranquille à Montbars en train de cultiver ma petite vigne, sans autre souci que de voir les grappes s’arrondir et se dorer au bon soleil bourguignon, et de ramasser sur les ceps, après l’ondée, ces petits escargots gris excellents en fricassée. Avec le fruit de mes économies, je me serais fait bâtir au bout du clos, sur la hauteur, à un endroit que je vois d’ici, un belvédère en pierres sèches comme celui de M. Chalmette, si commode pour les siestes l’après-midi, pendant que les cailles chantent tout autour dans le vignoble. Mais non. Sans cesse égaré par des illusions décevantes, j’ai voulu m’enrichir, spéculer, tenter les grands