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« On est venu vous dire, messieurs, que je n’étais pas digne de m’asseoir au milieu de vous. Et celui qui l’a dit était bien le dernier de qui j’aurais attendu cette parole car lui seul connaît le secret douloureux de ma vie, lui seul pouvait parler pour moi, me justifier et vous convaincre. Il n’a pas voulu le faire. Eh bien ! moi, je l’essaierai, quoi qu’il m’en coûte… Outrageusement calomnié devant tout le pays, je dois à moi-même, je dois à mes enfants cette justification publique et je me décide à la faire. »

Par un mouvement brusque, il se tourna alors vers la tribune où il savait que l’ennemi le guettait, et, tout à coup s’arrêta plein d’épouvante. Là, juste en face de lui, derrière la petite tête haineuse et pâle de la baronne, sa mère, sa mère qu’il croyait à deux cents lieues du redoutable orage, le regardait, appuyée au mur, tendant vers lui son visage divin inondé de larmes, mais fier et rayonnant tout de même du grand succès de son Bernard. Car c’était un vrai succès d’émotion sincère, bien humaine et que quelques mots de plus pouvaient changer en triomphe « Parlez… parlez… » lui criait-on de tous les côtés de la Chambre, pour le rassurer, l’encourager. Mais Jansoulet ne parlait pas. Il avait bien peu à dire cependant pour sa défense : « La calomnie a confondu volontairement deux noms. Je m’appelle Bernard Jansoulet. L’autre s’appelait Jansoulet Louis. » Pas un mot de plus.

C’était trop en présence de sa mère ignorant toujours le déshonneur de l’aîné. C’était trop pour le respect, la solidarité familiale.

Il crut entendre la voix du vieux : « Je meurs de honte mon enfant. » Est-ce qu’elle n’allait pas mourir de honte elle aussi, s’il parlait ?… Il eut vers le sourire