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des actionnaires, la Caisse territoriale venait de servir cette fois à subtiliser les votes des éleveurs. « Du reste, messieurs voici un dernier détail, par lequel j’aurais pu commencer pour vous épargner le navrant récit de cette pasquinade électorale. J’apprends qu’une instruction judiciaire est ouverte aujourd’hui même contre le comptoir corse, et qu’une sérieuse expertise de ses livres va très vraisemblablement amener un de ces scandales financiers trop fréquents hélas ! de nos jours, et auquel vous ne voudrez pas, pour l’honorabilité de cette Chambre, qu’aucun de vos membres se trouve mêlé. »

Sur cette révélation subite, le rapporteur s’arrêta un moment, prit un temps comme un comédien soulignant son effet ; et dans le silence dramatique pesant tout à coup sur l’Assemblée, on entendit le bruit d’une porte qui se fermait. C’était le gouverneur Paganetti quittant lestement sa tribune, le visage blême, les yeux ronds, la bouche en sifflet d’un maître Pierrot qui vient de flairer dans l’air quelque formidable coup de batte. Monpavon immobile, élargissait son plastron. Le gros homme soufflait violemment dans les guirlandes du petit chapeau blanc de sa femme.

La mère Jansoulet regardait son fils.

« J’ai parlé de l’honorabilité de la Chambre, messieurs… je veux en parler encore… »

Cette fois Le Merquier ne lisait plus. Après le rapporteur, l’orateur entrait en scène, le justicier plutôt. La face éteinte, le regard abrité, rien ne vivait, rien ne bougeait de son grand corps que le bras droit, ce bras long, anguleux, aux manches courtes, qui s’abaissait automatiquement comme un glaive de justice, mettait à chaque fin de phrase le geste cruel