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hérissés par touffes. Mais l’interruption de ce maladroit ami ne put que fournir à Le Merquier une transition rapide et toute naturelle. Un sourire hideux écarta ses lèvres molles : « L’honorable M. Sarigue nous parle de la Caisse territoriale, nous allons pouvoir lui répondre. » L’antre Paganetti semblait lui être en effet, très familier. En quelques phrases nettes et vives, il projeta la lumière jusqu’au fond du sombre repaire, en montra tous les pièges, tous les gouffres, les détours, les chausse-trapes, comme un guide secouant sa torche au-dessus des oubliettes de quelque sinistre in pace. Il parla des fausses carrières, des chemins de fer en tracé, des paquebots chimériques disparus dans leur propre fumée. L’affreux désert de Taverna ne fut pas oublié, ni la vieille torre génoise, servant de bureau à l’agence maritime. Mais ce qui réjouit surtout la Chambre, ce fut le récit d’une cérémonie picaresque organisée par le gouverneur pour la percée d’un tunnel à travers le Monte-Rotondo, travail gigantesque toujours en projet, remis d’année en année, demandant des millions d’argent, des milliers de bras, et qu’on avait commencé en grande pompe huit jours avant l’élection. Le rapport relatait drôlement la chose, le premier coup de pioche donné par le candidat dans l’énorme montagne couverte de forêts séculaires, le discours du préfet, la bénédiction des oriflammes aux cris de « vive Bernard Jansoulet », et deux cents ouvriers se mettant à l’œuvre immédiatement, travaillant jour et nuit pendant une semaine, puis — sitôt l’élection faite — abandonnant sur place les débris du roc entamé autour d’une excavation dérisoire, un asile de plus pour les redoutables rôdeurs du maquis. Le tour était joué. Après avoir si longtemps extorqué l’argent