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entraînait l’assemblée tout entière, aussi bien la salle que les tribunes, elle vit que ce qu’on regardait ainsi, c’était son fils.

Au pays des Jansoulet, on trouve encore, dans quelques anciennes églises, au fond du chœur, à mi-hauteur dans la crypte, une logette en pierre, où le lépreux était admis à écouter l’office, montrant à la foule curieuse et craintive sa sombre silhouette de fauve accroupie contre les meurtrières pratiquées au mur. Françoise se souvenait très bien d’avoir vu, au village où elle avait été nourrie, le « ladre », effroi de son enfance, entendant la messe du fond de sa cage de pierre, perdu dans l’ombre et la réprobation… En voyant son fils assis, la tête dans ses mains, seul, tout en haut, à part des autres, ce souvenir lui revint à l’esprit. « On dirait le ladre », murmura la paysanne. Et c’était bien un lépreux, en effet, ce pauvre Nabab, à qui ses millions rapportés d’Orient infligeaient en ce moment comme une terrible et mystérieuse maladie exotique. Par hasard le banc où il avait choisi sa place s’éclaircissait de plusieurs vides causés par des congés ou des morts récentes ; et tandis que les autres députés communiquaient entre eux, riaient, se faisaient des signes, lui se tenait silencieux, isolé, signalé à l’attention de toute la Chambre, attention que la mère Jansoulet devinait malveillante, ironique, et qui la brûlait au passage. Comment lui faire savoir qu’elle était là près de lui, qu’un cœur fidèle battait non loin du sien ; il évitait de se tourner vers cette tribune. On eût dit qu’il la sentait hostile, qu’il craignait d’y voir des choses attristantes… Soudain, à un coup de sonnette venu de l’estrade présidentielle, un tressaillement courut par l’assemblée, toutes les têtes se penchèrent dans