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une revanche des regards insolents posés sur elle, elle ajouta :

« Je suis la maman. »

Marmitons et palefreniers s’écartèrent respectueusement.

M. Barreau souleva son bonnet :

« Je me disais bien que j’avais vu madame quelque part.

— C’est ce que je me disais aussi, mon garçon », répondit la mère Jansoulet à qui le souvenir des tristes fêtes du bey venait de donner un frisson au cœur.

Mon garçon !… à M. Barreau, à un homme de cette importance… Voilà qui la mettait tout de suite très haut dans l’estime de tout ce monde-là.

Ah ! les grandeurs et les splendeurs ne l’éblouissaient guère, la courageuse vieille. Ce n’était pas une mère Boby d’opéra-comique s’extasiant sur les dorures et les beaux affiquets ; et, dans le grand escalier qu’elle montait derrière sa malle, les corbeilles de fleurs à tous les étages, les lampadaires soutenus par des statues de bronze ne l’empêchèrent pas de remarquer qu’il y avait un doigt de poussière sur la rampe et des déchirures au tapis. On la conduisit aux appartements du second réservés à la Levantine et aux enfants, et là, dans une salle servant de lingerie, qui devait être voisine du cabinet d’études car on entendait un murmure de voix enfantines, elle attendit toute seule, son panier sur les genoux, le retour de son Bernard, peut-être le réveil de sa bru, ou la grande joie d’embrasser ses petits-fils. Rien mieux que ce qu’elle voyait autour d’elle ne pouvait lui donner une idée du désordre d’un intérieur livré aux domestiques, où manquent la surveillance de la femme et son activité prévoyante. Dans de vastes armoires, toutes ouvertes le linge s’amoncelait pêle-mêle en piles