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peler au vieux copain tous les bons souvenirs remués l’avant-veille… « Ça tient toujours notre visite à Le Merquier… Le tableau que nous devons lui offrir, tu sais bien… Quel jour veux-tu ?

— Ah ! oui, Le Merquier… C’est vrai… Eh bien ! Mais prochainement… Je t’écrirai…

— Bien sûr ?… Tu sais que c’est pressé…

— Oui, oui, je t’écrirai… Adieu. »

Et le gros homme referma sa porte vivement comme s’il avait peur que sa femme arrivât.

Deux jours après, le Nabab recevait un mot d’Hemerlingue, presque indéchiffrable sous ces petites pattes de mouches compliquées d’abréviations plus ou moins commerciales derrière lesquelles l’ex-cantinier dissimulait son manque absolu d’orthographe :

Mon ch/ anc/ cam/

Je ne pui décid/ t’accom/ chez Le Merq/. Trop d’aff/ en ce mom/. D’aill/ v/ ser/ mieux seuls pour caus/. Vas-y carrém/. On t’att/. R / Cassette, tous les mat/ de 8 à 10.

À toi cor/
Hem/.

Au-dessous, en post-scriptum, une écriture très fine aussi, mais plus nette, avait écrit très lisiblement :

« Un tableau religieux, autant que possible !… »

Que penser de cette lettre ? Y avait-il bonne volonté réelle ou défaite polie ? En tout cas l’hésitation n’était plus permise. Le temps brûlait. Jansoulet fit donc un effort courageux, car Le Merquier l’intimidait beaucoup, et se rendit chez lui un matin.

Notre étrange Paris, dans sa population et ses