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disparaissaient l’une après l’autre, laissant chaque fois un vide immense à leur place. Madame Jenkins était partie, il ne restait plus que deux ou trois dames inconnues de Jansoulet, entre lesquelles la maîtresse de la maison semblait s’abriter de lui. Mais Hemerlingue était libre, et le Nabab le rejoignit au moment où il s’esquivait furtivement du côté de ses bureaux situés au même étage, en face les appartements. Jansoulet sortit avec lui, oubliant dans son trouble de saluer la baronne, et une fois sur le palier décoré en antichambre, le gros Hemerlingue, très froid, très réservé tant qu’il s’était senti sous l’œil de sa femme, reprit une figure un peu plus ouverte.

« C’est très fâcheux, dit-il à voix basse comme s’il craignait d’être entendu, que madame Jansoulet n’ait pas voulu venir. »

Jansoulet lui répondit par un mouvement de désespoir et de farouche impuissance.

« Fâcheux… fâcheux…, répétait l’autre en soufflant et cherchant sa clé dans sa poche.

— Voyons, vieux, dit le Nabab en lui prenant la main, ce n’est pas une raison parce que nos femmes ne s’entendent pas… Ça n’empêche pas de rester camarades… Quelle bonne causette, hein ? l’autre jour…

— Sans doute… » disait le baron se dégageant pour ouvrir la porte qui glissa sans bruit, montrant le haut cabinet de travail dont la lampe brûlait solitaire devant l’énorme fauteuil vide… « Allons, adieu, je te quitte… J’ai mon courrier à fermer.

Ya didou, mouci…[1] » fit le pauvre Nabab essayant de plaisanter, et se servant du patois sabir pour rap-

  1. Hé, dis donc, Monsieur…