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— Je me moque bien du théâtre », fit Jansoulet furieux malgré tout son respect pour la fille des Afchin. « Comment ! vous n’êtes pas encore habillée ?… On ne vous a donc pas dit que nous sortions ? »

On le lui avait dit, mais elle s’était mise à lire cette bête de pièce. Et de son air endormi :

« Nous sortirons demain.

— Demain ! C’est impossible… On nous attend aujourd’hui même… Une visite très importante.

— Où donc cela ? »

Il hésita une seconde, puis :

« Chez Hemerlingue. »

Elle leva sur lui ses gros yeux, persuadée qu’il voulait rire. Alors il lui raconta sa rencontre avec le baron aux funérailles de Mora et la convention qu’ils avaient faite ensemble.

« Allez-y si vous voulez, dit-elle froidement ; mais vous me connaissez bien peu si vous croyez que moi, une demoiselle Afchin, je mettrai jamais les pieds chez cette esclave. »

Prudemment, Cabassu, voyant la tournure du débat, avait disparu dans une pièce voisine, les cinq cahiers de Révolte empilés sous son bras.

« Allons, dit le Nabab à sa femme, je vois bien que vous ne connaissez pas la terrible position où je me trouve… Écoutez alors… »

Sans se soucier des filles de chambre ni des négresses, avec cette souveraine indifférence de l’oriental pour la domesticité, il se mit à faire le tableau de sa grande détresse, la fortune saisie là-bas, ici le crédit perdu, toute sa vie en suspens devant l’arrêt de la Chambre, l’influence des Hemerlingue sur l’avocat rapporteur, et le sacrifice obligatoire en ce moment de