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par le silence de la grande nécropole ; mais peu à peu les intérêts humains haussaient le ton au milieu même de leur néant étalé sur toutes ces pierres plates chargées de dates et de chiffres, comme si la mort n’était qu’une affaire de temps et de calcul, le résultat voulu d’un problème.

Hemerlingue jouissait de voir son ami si humble, lui donnait des conseils sur ses affaires qu’il avait l’air de connaître à fond. Selon lui le Nabab pouvait encore très bien s’en tirer. Tout dépendait de la validation, d’une carte à retourner. Il s’agissait de la retourner bonne. Mais Jansoulet n’avait plus confiance. En perdant Mora, il avait tout perdu.

« Tu perds Mora, mais tu me retrouves. Ça se vaut, dit le banquier tranquillement.

— Non, vois-tu, c’est impossible… Il est trop tard… Le Merquier a fini son rapport. Il est effroyable, paraît-il.

— Eh bien ! s’il a fini son rapport, il faut qu’il en fasse un autre moins méchant.

— Comment cela ? »

Le baron le regarda stupéfait :

« Ah çà ! mais tu baisses, voyons… En donnant cent, deux cent, trois cent mille francs, s’il le faut…

— Y songes-tu ?… Le Merquier, cet homme intègre… Ma conscience, comme on l’appelle… »

Cette fois le rire d’Hemerlingue éclata avec une expansion extraordinaire, roula jusqu’au fond des mausolées voisins peu habitués à tant d’irrespect.

« Ma conscience, » un homme intègre… Ah ! tu m’amuses… Tu ne sais donc pas qu’elle est à moi, cette conscience, et que… »

Il s’arrêta, regarda derrière lui, un peu troublé d’un bruit qu’il entendait :