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« Écoute, Bernard, il n’y a qu’une chose qui compte… Si tu veux que nous soyons camarades comme autrefois, que ces poignées de main que nous avons échangées ne soient pas perdues, il faut obtenir de ma femme qu’elle se réconcilie avec vous… Sans cela rien de fait… Lorsque mademoiselle Afchin nous a refusé sa porte, tu l’as laissée faire, n’est-ce pas ?… Moi de même, si Marie me disait en rentrant : « Je ne veux pas que vous soyez amis… » toutes mes protestations ne m’empêcheraient pas de te flanquer par-dessus bord. Car il n’y a pas d’amitié qui tienne. Ce qui est encore meilleur que tout, c’est d’avoir la paix chez soi.

— Mais alors, comment faire ? demanda le Nabab épouvanté.

— Je m’en vais te le dire… La baronne est chez elle tous les samedis. Viens avec ta femme, lui faire une visite après-demain. Vous trouverez à la maison la meilleure société de Paris. On ne parlera pas du passé. Ces dames causeront chiffons et toilettes, se diront ce que les femmes se disent. Et puis ce sera une affaire finie. Nous redeviendrons amis comme autrefois ; et puisque tu es dans la nasse, eh bien ! on t’en tirera.

— Tu crois ? C’est que j’y suis terriblement », dit l’autre avec un hochement de tête.

De nouveau les prunelles narquoises d’Hemerlingue disparurent entre ses joues comme deux mouches dans du beurre :

« Dame, oui… J’ai joué serré. Toi tu ne manques pas d’adresse… Le coup des quinze millions prêtés au bey ; c’était trouvé, ça… Ah ! tu as du toupet ; seulement tu tiens mal tes cartes. On voit ton jeu. »

Ils avaient jusqu’ici parlé à demi-voix, impressionnés