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« …Maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il ! » murmura la Crenmitz pendant que le fiacre s’ébranlait sur la place éclaircie où la Liberté toute en or semblait prendre là-haut dans l’espace une magique envolée, et cette prière de la vieille danseuse fut peut-être la seule note émue et sincère soulevée sur l’immense parcours des funérailles.

Tous les discours sont finis, trois longs discours aussi glacials que le caveau où le mort vient de descendre, trois déclamations officielles qui ont surtout fourni aux orateurs l’occasion de faire parler bien haut leur dévouement aux intérêts de la Dynastie. Quinze fois les canons ont frappé les échos nombreux du cimetière, agité les couronnes de jais et d’immortelles, les ex-voto légers pendus aux angles des entourages, et tandis qu’une buée rougeâtre flotte et roule dans une odeur de poudre à travers la ville des morts, monte et se mêle lentement aux fumées d’usine du quartier plébéien, l’innombrable assemblée se disperse aussi, disséminée par les rues en pente, les hauts escaliers tout blancs dans la verdure, avec un murmure confus, un ruissellement de flots sur les roches. Robes pourpres, robes noires, habits bleus et verts, aiguillettes d’or, fines épées qu’on assure de la main en marchant, se hâtent de rejoindre les voitures. On échange de grands saluts, des sourires discrets, pendant que les carrosses de deuil dégringolent les allées au galop, montrent des alignements de cochers noirs, le dos arrondi, le chapeau en bataille, le carrick flottant au vent de la course.

L’impression générale, c’est le débarras d’une longue et fatigante figuration, un empressement légitime à