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II
un déjeuner place vendôme

Ils n’étaient guère plus d’une vingtaine ce matin-là dans la salle à manger du Nabab, une salle à manger en chêne sculpté, sortie la veille de chez quelque grand tapissier, qui du même coup avait fourni les quatre salons en enfilade entrevus dans une porte ouverte, les tentures du plafond, les objets d’art, les lustres, jusqu’à la vaisselle plate étalée sur les dressoirs, jusqu’aux domestiques qui servaient. C’était bien l’intérieur improvisé, dès la descente du chemin de fer, par un gigantesque parvenu pressé de jouir. Quoiqu’il n’y eût pas autour de la table la moindre robe de femme, un bout d’étoffe claire pour l’égayer, l’aspect n’en était pas monotone, grâce au disparate, à la bizarrerie des convives, des éléments de tous les mondes, des échantillons d’humanité détachés de toutes les races, en France, en Europe, dans l’univers entier, du haut en bas de l’échelle sociale. D’abord, le maître du logis, espèce de géant — tanné, hâlé, safrané, la tête dans les épaules — à qui son nez court et perdu dans la bouffissure du visage, ses cheveux crépus massés comme un bonnet d’astrakan sur un front bas et têtu,