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XIX
les funérailles

« Ne pleure pas, ma fée, tu m’enlèves tout mon courage. Voyons, tu seras bien plus heureuse quand tu n’auras plus ton affreux démon… Tu vas retourner à Fontainebleau soigner tes poules… Les dix mille franc de Brahim serviront à t’installer… Et puis, n’aie pas peur, une fois là-bas, je t’enverrai de l’argent. Puisque ce bey veut avoir de ma sculpture, on va lui faire payer façon, tu penses… Je reviendrai riche, riche… Qui sait ? Peut-être sultane…

— Oui, tu seras sultane… mais moi, je serai morte, et je ne te verrai plus. »

Et la bonne Crenmitz désespérée se serrait dans un coin du fiacre pour qu’on ne la vît pas pleurer.

Félicia quittait Paris. Elle essayait de fuir l’horrible tristesse, l’écœurement sinistre où la mort de Mora venait de la plonger. Quel coup terrible pour l’orgueilleuse fille ! L’ennui, le dépit, l’avaient jetée dans les bras de cet homme ; fierté, pudeur, elle lui avait tout donné, et voilà qu’il emportait tout, la laissant fanée pour la vie, veuve sans larmes, sans deuil, sans