Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auprès de l’Excellence française, — le tout accompagné de battements de cœur et de ces frissons entre les épaules qui précèdent, même faites en carrosse doré, les démarches décisives.

Arrivé à l’hôtel par le bord de l’eau, il fut très étonné de voir que le suisse du quai, comme aux jours de grande réception, faisait prendre aux voitures la rue de Lille, afin de laisser une porte libre pour la sortie. Il songea, un peu troublé : « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Peut-être un concert chez la duchesse, une vente de charité, quelque fête d’où Mora l’aurait exclu à cause du scandale de sa dernière aventure. Et ce trouble s’accrut encore lorsque Jansoulet, après avoir traversé la cour d’honneur au milieu du fracas des portières refermées, d’un roulement sourd et continu sur le sable, se trouva — le perron franchi — dans l’immense salon d’antichambre rempli d’une foule qui ne dépassait aucune des portes intérieures, concentrant son va-et-vient anxieux autour de la table du suisse où s’inscrivaient tous les noms célèbres du grand Paris. Il semblait qu’un coup de vent de désastre eût traversé la maison emporté un peu de son calme grandiose, laissé filtrer dans son bien-être l’inquiétude et le danger.

« Quel malheur !…

— Ah ! c’est affreux…

— Et si subitement… »

Les gens se croisaient en échangeant des mots semblables. Jansoulet eut une pensée rapide :

« Est-ce que le duc est malade ? demanda-t-il à un domestique.

— Ah ! Monsieur… Il va mourir… Il ne passera pas la nuit. »