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meilleure d’un écrivain. Quant au sort qui l’attendait, nul n’aurait pu le dire ; et l’incertitude planant sur la lecture du drame ajoutait à son émotion celle de chaque auditeur, les vœux tout de blanc vêtus de mademoiselle Élise, les hallucinations fantaisistes de M. Joyeuse, et les souhaits plus positifs d’Aline installant d’avance la modeste fortune de sa sœur dans le nid, battu des vents mais envié de la foule, d’un ménage d’artiste.

Ah ! si quelqu’un de ces promeneurs tournant pour la centième fois autour du lac, accablé par la monotonie de son habitude, était venu écarter les branches, quelle surprise devant ce tableau ! Mais se serait-il bien douté de tout ce qu’il pouvait tenir de passion, de rêves, de poésie et d’espérance dans ce petit coin de verdure guère plus large que l’ombre dentelée d’une fougère sur la mousse ?

« Vous aviez raison je ne connaissais pas le Bois… » disait Paul tout bas à Aline appuyée sur son bras.

Ils suivaient maintenant une allée étroite et couverte et tout en causant marchaient d’un pas très vif, bien en avant des autres. Ce n’était pourtant pas la terrasse du père Kontzen ni ses fritures croustillantes qui les attiraient. Non, les beaux vers qu’ils venaient d’entendre les avaient emportés très haut, et ils n’étaient pas encore redescendus. Ils allaient devant eux vers le bout toujours fuyant du chemin qui s’élargissait à son extrémité dans une gloire lumineuse, une poussière de rayons comme si tout le soleil de cette belle journée les attendait, tombés à la lisière. Jamais Paul ne s’était senti si heureux. Ce bras léger posé sur son bras, ce pas d’enfant où le sien se guidait, lui auraient rendu la vie douce et facile autant que cette promenade sur la mousse d’une allée verte. Il l’eût dit à la jeune fille,