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l’autre, la jeune Chinoisée Yaïa, avec une folle envie de rire à peine dissimulée.

Alors un grand silence. Puis l’amoureux commence sa petite histoire.

Je crois bien que mademoiselle Élise se doute en effet de quelque chose, car dès que le jeune voisin a parlé de communication elle a tiré son « Ansart et Rendu » de sa poche et s’est plongée précipitamment dans les aventures d’un tel dit le Hutin, émouvante lecture qui fait trembler le livre entre ses doigts. Il y a de quoi trembler certes devant l’effarement, la stupeur indignée, avec lesquels M. Joyeuse accueille cette demande de la main de sa fille :

« Est-ce possible ? Comment cela est-il fait ? Quel prodigieux événement ! Qui se serait jamais douté d’une chose pareille ? »

Et tout à coup le bonhomme part d’un immense éclat de rire. Eh bien ! non, ce n’est pas vrai. Voilà longtemps qu’il connaît l’affaire, qu’on l’a mis au courant de tout…

Le père au courant de tout ! Bonne-Maman les a donc trahis ?… Et devant les regards de reproche qui se tournent de son côté, la coupable s’avance en souriant :

« Oui, mes amis, c’est moi… Le secret était trop lourd. Je n’ai pu le garder pour moi seule… Et puis le père est si bon… On ne peut rien lui cacher. »

En parlant ainsi, elle saute au cou du petit homme, mais la place est assez grande pour deux, et quand mademoiselle Élise s’y réfugie à son tour, il y a encore une main tendue, affectueuse, paternelle, vers celui que M. Joyeuse considère désormais comme son enfant. Étreintes silencieuses, longs regards qui se croisent émus ou passionnés, minutes bienheureuses qu’on