Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nemi est là… Attention. » En traversant la salle des Pas-Perdus, il aperçut en effet l’homme de finance causant dans un coin avec Le Merquier le rapporteur, passa tout près d’eux et les regarda d’un air triomphant qui fit penser aux autres : « Qu’est-ce qu’il y a donc ? »

Puis, enchanté de son sang-froid, il se dirigea vers les bureaux, vastes et hautes salles ouvrant à droite et à gauche sur un long corridor, et dont les grandes tables recouvertes de tapis verts, les sièges lourds et uniformes étaient empreints d’une ennuyeuse solennité. On arrivait. Des groupes se plaçaient, discutaient, gesticulaient, avec des saluts, des poignées de mains, des renversements de têtes, en ombres chinoises sur le fond lumineux des vitres. Il y avait là des gens qui marchaient le dos courbé, solitaires, comme écrasés sous le poids des pensées qui plissaient leur front. D’autres se parlaient à l’oreille, se confiant des nouvelles excessivement mystérieuses et de la dernière importance, le doigt aux lèvres, l’œil écarquillé d’une recommandation muette. Un bouquet provincial distinguait tout cela, des variétés d’intonations, violences méridionales, accents traînards du Centre, cantilènes de Bretagne, fondus dans la même suffisance imbécile et ventrue ; des redingotes à la mode de Landerneau, des souliers de montagne, du linge filé dans les domaines, et des aplombs de clocher ou de cercles de petite ville des expressions locales, des provincialismes introduits brusquement dans la langue politique et administrative, cette phraséologie flasque et incolore qui a inventé « les questions brûlantes revenant sur l’eau » et les « individualités sans mandat ».

À voir ces agités ou ces pensifs, vous eussiez dit les