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Je ne sais si vous êtes comme moi, mais quand je lis haut, je me gargarise avec ma voix, je fais des nuances et des fioritures, de telle sorte que je ne comprends rien à ce que je dis, comme ces chanteurs à qui le sens des phrases importe peu pourvu que la note y soit… Cela s’appelait « le Bateau de fleurs… » Une histoire assez embrouillée avec des noms chinois, où il était question d’un mandarin très riche, nouvellement passé de première classe, et qui avait tenu dans les temps un « bateau de fleurs » amarré tout au bout de la ville près d’une barrière fréquentée par les guerriers… Au dernier mot de l’article, nous n’étions pas plus avancés qu’au commencement. On essayait bien de cligner de l’œil, de faire le malin ; mais, franchement, il n’y avait pas de quoi. Un vrai rébus sans image ; et nous serions encore plantés devant, si le vieux Francis, qui décidément est un mâtin pour ses connaissances de toutes sortes, ne nous avait expliqué que cette barrière aux guerriers devait être l’École militaire et que le « bateau de fleurs » n’avait pas un aussi joli nom que ça en bon français. Et ce nom, il le dit tout haut malgré les dames… Quelle explosion de cris, de ah ! de oh ! les uns disant : « Je m’en doutais… » Les autres : « Ça n’est pas possible… »

« Permettez, ajouta Francis, ancien trompette au neuvième lancier, le régiment de Mora et de Monpavon, permettez… Il y a une vingtaine d’années, à mon dernier semestre, j’ai été caserné à l’École militaire, et je me rappelle très bien qu’il y avait près de la barrière un sale bastringue appelé le bal Jansoulet avec un petit garni au-dessus et des chambres à cinq sous l’heure où l’on passait entre deux contredanses…

— Vous êtes un infâme menteur, dit M. Noël hors