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C’était la première fois que cette paresseuse et sauvage personne se montrait à la société parisienne, et M. Jansoulet semblait très heureux et très fier qu’elle eût bien voulu présider sa fête ; ce qui du reste ne donna pas grand mal à la dame, car, laissant son mari recevoir les invités dans le premier salon, elle alla s’étendre sur le divan du petit salon japonais, calée entre deux piles de coussins, immobile, si bien qu’on l’apercevait de loin tout au fond, pareille à une idole, sous le grand éventail que son nègre agitait régulièrement comme une mécanique. Ces étrangères vous ont un aplomb !

Tout de même l’irritation du Nabab m’avait frappé, et voyant passer le valet de chambre qui descendait l’escalier quatre à quatre, je l’attrapai au vol et lui glissai dans le tuyau de l’oreille :

« Qu’est-ce qu’il a donc votre bourgeois, monsieur Noël ?

— C’est l’article du Messager », me fut-il répondu, et je dus renoncer à en savoir davantage pour le moment, un grand coup de timbre annonçant que la première voiture arrivait, suivie bientôt d’une foule d’autres.

Tout à mon affaire, attentionné à bien prononcer les noms qu’on me donnait, à les faire ricocher de salon en salon, je ne pensai plus à autre chose. Ce n’est pas un métier commode d’annoncer convenablement des personnes qui s’imaginent toujours que leur nom doit être connu, le murmurent en passant du bout des lèvres, et s’étonnent ensuite de vous l’entendre écorcher dans le plus bel accent, vous en voudraient presque de ces entrées manquées, enguirlandées de petits sourires, qui suivent une annonce mal faite. Chez M. Jansoulet, ce qui me rendait la besogne encore plus difficile,