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sa reconnaissance avec une cordialité qui lui met à lui-même des larmes dans les yeux.

« C’est un grand honneur que vous m’avez fait, Mademoiselle, d’associer mon nom au vôtre, mon humble personne à votre triomphe, et de prouver à toute cette vermine en train de me ronger les talons que vous ne croyez pas aux calomnies répandues sur mon compte. Vrai, c’est inoubliable. J’aurai beau couvrir d’or et de diamants ce buste magnifique, je vous le devrai toujours… »

Heureusement pour le bon Nabab, plus sensible qu’éloquent, il est obligé de faire place à tout ce qu’attire le talent rayonnant, la personnalité en vue : des enthousiasmes frénétiques qui, faute d’un mot pour s’exprimer, disparaissent comme ils sont venus, des admirations mondaines, animées de bonne volonté, d’un vif désir de plaire, mais dont chaque parole est une douche d’eau froide, et puis les solides poignées de main des rivaux, des camarades, quelques-unes très franches, d’autres qui vous communiquent la mollesse de leur empreinte ; le grand dadais prétentieux dont l’éloge imbécile doit vous transporter d’aise et qui, pour ne point trop vous gâter, l’accompagne « de quelques petites réserves », et celui, qui en vous accablant de compliments, vous démontre que vous ne savez pas le premier mot du métier, et le bon garçon affairé qui s’arrête juste le temps de vous dire dans l’oreille « que Chose, le fameux critique, n’a pas l’air content ». Félicia écoutait tout avec le plus grand calme, soulevée par son succès au-dessus des petitesses de l’envie, et toute fière quand un vétéran glorieux, quelque vieux compagnon de son père lui jetait un « c’est très bien, petiote ! » qui la reportait au passé au