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vrai, tellement « nature » que Paul eut un cri d’admiration.

« N’est-ce pas qu’il est bien ? dit-elle naïvement… Encore quelques retouches là et là… (Elle avait pris l’ébauchoir, la petite éponge et poussé la sellette dans ce qui restait de jour.) Ce serait l’affaire de quelques heures ; mais il ne pourrait toujours pas aller à l’exposition. Nous sommes le 22 ; tous les envois sont faits depuis longtemps.

— Bah !… avec des protections… »

Elle eut un froncement de sourcils et sa mauvaise expression retombante de la bouche :

« C’est vrai… La protégée du duc de Mora… Oh ! vous n’avez pas besoin de vous défendre. Je sais ce qu’on dit et je m’en moque comme de ça… (Elle envoya une boulette de glaise s’emplâtrer contre la tenture.) Peut-être même qu’à force de supposer ce qui n’est pas… Mais laissons là ces infamies, dit-elle en relevant sa petite tête aristocratique… Je tiens à vous faire plaisir Minerve… Votre ami ira au Salon cette année. »

À ce moment, un parfum de caramel, de pâte chaude envahit l’atelier où tombait le crépuscule en fine poussière décolorante ; et la fée apparut, un plat de beignets à la main, une vraie fée, parée, rajeunie, vêtue d’une tunique blanche qui laissait à l’air, sous des dentelles jaunies, ses beaux bras de vieille femme, les bras, cette beauté qui meurt la dernière.

« Regarde mes kuchlen, mignonne, s’ils sont réussis cette fois… Ah ! pardon, je n’avais pas vu que tu avais du monde… Tiens ! Mais c’est M. Paul… Ça va bien monsieur Paul ?… Goûtez donc un de mes gâteaux… »

Et l’aimable vieille, à qui ses atours semblaient prêter une vivacité extraordinaire, s’avançait en sautillant,