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ton si affectueux, elle semble si heureuse de cette visite. Pourquoi est-il resté aussi longtemps loin d’elle ? Voilà près d’un mois qu’on ne l’a vu. Ils ne sont donc plus amis ? Lui s’excuse de son mieux. Les affaires, un voyage. D’ailleurs, s’il n’est pas venu ici, il a souvent parlé d’elle, oh ! bien souvent, presque tous les jours.

« Vraiment ? Et avec qui ?

— Avec… »

Il va dire : « avec Aline Joyeuse… » mais une gêne l’arrête, un sentiment indéfinissable, comme une pudeur de prononcer ce nom dans l’atelier qui en a entendu tant d’autres. Il y a des choses qui ne vont pas ensemble, sans qu’on sache bien pourquoi. Paul aime mieux répondre par un mensonge qui l’amène droit au but de sa visite :

« Avec un excellent homme à qui vous avez causé une peine bien inutile… Voyons, pourquoi ne lui avez-vous pas fini son buste, à ce pauvre Nabab ?… C’était un grand bonheur, une grande fierté pour lui ce buste à l’exposition… Il y comptait. »

À ce nom du Nabab, elle s’est troublée légèrement :

« C’est vrai, dit-elle, j’ai manqué à ma parole… Que voulez-vous ? Je suis à caprices, moi… Mais mon désir est bien de le reprendre un de ces jours… Voyez, le linge est dessus, tout mouillé, pour que la terre ne sèche pas…

— Et l’accident ?… Oh ! vous savez, nous n’y avons pas cru…

— Vous avez eu tort… Je ne mens jamais… Une chute, un à-plat formidable… Seulement la glaise était fraîche. J’ai réparé cela facilement. Tenez ! »

Elle enleva le linge d’un geste ; le Nabab surgit avec sa bonne face tout heureuse d’être portraiturée, et si