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XIII
un jour de spleen

Cinq heures de l’après-midi. La pluie depuis le matin, un ciel gris et bas à toucher avec les parapluies, un temps mou qui poisse, le gâchis, la boue, rien que de la boue, en flaques lourdes, en traînées luisantes au bord des trottoirs, chassée en vain par les balayeuses mécaniques, par les balayeuses en marmottes, enlevée sur d’énormes tombereaux qui l’emportent lentement vers Montreuil, la promènent en triomphe à travers les rues toujours remuée et toujours renaissante, poussant entre les pavés, éclaboussant les panneaux des voitures, le poitrail des chevaux, les vêtements des passants mouchetant les vitres, les seuils, les devantures, à croire que Paris entier va s’enfoncer et disparaître sous cette tristesse du sol fangeux où tout se fond et se confond. Et c’est une pitié de voir l’envahissement de cette souillure sur les blancheurs des maisons neuves, la bordure des quais, les colonnades des balcons de pierre… Il y a quelqu’un cependant que ce spectacle réjouit, un pauvre être dégoûté et malade qui, vautré tout de son long sur la soie brodée d’un divan, la tête sur ses poings fermés, regarde joyeusement dehors