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pondait le nez dans sa cuvette. Quand par miracle de Géry le saisissait une seconde, il fuyait, lui coupait la parole par un : « Pas maintenant, je vous en prie… » À la fin le jeune homme eut recours aux moyens héroïques.

Un matin, vers cinq heures, Jansoulet, en revenant du cercle trouva sur sa table près de son lit, une petite lettre qu’il prit d’abord pour une de ces dénonciations anonymes qu’il recevait à la journée. C’était bien une dénonciation, en effet, mais signée, à visage ouvert, respirant la loyauté et la jeunesse sérieuse de celui qui l’avait écrite. De Géry lui signalait très nettement toutes les infamies, toutes les exploitations dont il était entouré. Sans détour, il désignait les coquins par leur nom. Pas un qui ne lui fût suspect parmi les commensaux ordinaires, pas un qui vînt pour autre chose que voler ou mentir. Du haut en bas de la maison, pillage et gaspillage. Les chevaux du Bois-Landry étaient tarés, la galerie Schwalbach, une duperie, les articles de Moëssard, un chantage reconnu. De ces abus effrontés, de Géry avait fait un long mémoire détaillé, avec preuves à l’appui ; mais c’était le dossier de la Caisse territoriale qu’il recommandait spécialement à Jansoulet, comme le vrai danger de sa situation. Dans les autres affaires, l’argent seul courait des risques ; ici, l’honneur était en jeu. Attirés par le nom du Nabab, son titre de président du conseil, dans cet infâme guet-apens, des centaines d’actionnaires étaient venus, chercheurs d’or à la suite de ce mineur heureux. Cela lui créait une responsabilité effroyable, dont il se rendrait compte en lisant le dossier de l’affaire, qui n’était que mensonge et flouerie d’un bout à l’autre.

« Vous trouverez le mémoire dont je vous parle,