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pathique et pleine d’effusion : « Vive notre bon bey !… » La pluie sur tout cela, la pluie tombant par écuelles, en paquets, déteignant les carrosses roses, précipitant encore la bousculade, achevant de donner à ce retour triomphal l’aspect d’une déroute, mais d’une déroute comique, mêlée de chants, de rires, de blasphèmes, d’embrassades furieuses et de jurements infernaux, quelque chose comme une rentrée de procession sous l’orage, les soutanes retroussées, les surplis sur la tête, le bon Dieu remisé à la hâte sous un porche.

Un roulement sourd et mou annonça au pauvre Nabab immobile et silencieux dans un coin de son carrosse qu’on passait le pont de bateaux. On arrivait.

« Enfin ! » dit-il, regardant par les vitres brouillées les flots écumeux du Rhône dont la tempête lui semblait un repos après celle qu’il venait de traverser. Mais au bout du pont, quand la première voiture atteignit l’arc de triomphe, des pétards éclatèrent, les tambours battirent aux champs, saluant l’entrée du monarque sur les terres de son féal, et pour comble d’ironie, dans le crépuscule, tout en haut du château, une flambée de gaz gigantesque illumina soudain le toit de lettres de feu sur lesquelles la pluie, le vent faisaient courir de grandes ombres mais qui montraient encore très lisiblement : « Viv’’ L’’ B’’ Y M’’’’ HMED. »

« Ça, c’est le bouquet », fit le malheureux Nabab qui ne put s’empêcher de rire, d’un rire bien piteux, bien amer. Mais non, il se trompait. Le bouquet l’attendait à la porte du château ; et c’est Amy Férat qui vint le lui présenter, sortie du groupe des Arlésiennes qui abritaient sous la marquise la soie changeante de leurs jupes et les velours ouvrés des coiffes, en attendant le premier carrosse. Son paquet de fleurs à la main, mo-